Le Premier ministre canadien a jeté l’éponge hier, après neuf années à la tête du gouvernement qui ont abîmé son image et celle du Parti libéral. Le grand invité : Frédéric Boily, professeur de politique canadienne et québécoise à l’université de l’Alberta. RFI : Quel bilan tirez-vous des années Justin Trudeau à la tête du Canada ?Frédéric Boily : C'est un bilan contrasté, sous-tendu par deux périodes distinctes. Entre 2015 et 2019, le gouvernement est archi-majoritaire. À ce moment-là, Justin Trudeau avait les coudées franches et il a quand même pu initier un certain nombre d'initiatives politiques intéressantes : un processus de réconciliation avec les autochtones, une politique environnementale plus vigoureuse, une véritable défense de la classe moyenne qui s'est surtout manifestée lors de la pandémie. Mais ça s'est dégradé par la suite avec les élections de 2019 et 2021, lorsque le gouvernement a été mis en minorité.Le vote libéral est resté très efficace, surtout dans les grandes villes. Mais ces résultats électoraux ont aussi montré un pays en train de se fractionner entre l'Est et l'Ouest. Il aurait fallu entendre que le pays était en train de se diviser et apporter les correctifs qui n'ont pas été apportés, soit par entêtement politique, soit par aveuglement idéologique.On a la sensation que la popularité de Justin Trudeau s'est usée à l'épreuve du pouvoir et que son image en a beaucoup souffert ?Elle est devenue très mauvaise. Et c'est un peu paradoxal, parce qu'en 2015, Justin Trudeau apparaissait comme un vent de fraîcheur par rapport à son prédécesseur Steven Harper, un conservateur qui passait pour l'homme politique d'une autre époque. La « Trudeaumania » s’est totalement estompée et son capital politique a disparu, non seulement auprès de la population, mais de surcroit, à l’intérieur de son groupe parlementaire. On a vu ces derniers mois de plus en plus de libéraux affirmer que Justin Trudeau ne pouvait plus être l'homme de la situation, et que malgré sa gestion convenable de la pandémie de Covid-19, il appartenait désormais au passé, loin de la figure rassembleuse de 2015.Quels sont les éléments qui ont précipité sa chute ?Beaucoup de choses. Mais avant tout, les élections partielles dans certaines circonscriptions, du côté de Toronto ou de Montréal, considérées comme des bastions libéraux, qui ont été perdues, dans une odeur de débandade électorale. Petit à petit, il a perdu l’art de gouverner. On aurait pu penser qu’après la pandémie, l'État reste très présent pour soutenir l’économie canadienne. Mais, au contraire, c’est le discours selon lequel le Canada avait perdu la maîtrise de ses finances publiques qui s’est imposé, et cette idée a fait beaucoup de mal aux libéraux. Comme s’il n’y avait plus de pilotes dans l’avion et qu’il était temps de changer tout l’équipage pour y remettre une touche conservatrice, si l’on en croit les sondages.Le Parti libéral a-t-il une chance de garder la main sur le pouvoir ?C’est très compromis. Depuis deux ans, dans les intentions de vote, les conservateurs ont la